C’est toujours silencieux dans la boutique le dimanche matin. Valérie arrive vers neuf heures trente; ça lui donne une bonne demi-heure pour tout faire avant l’ouverture. C’est tranquille, de toute façon. Elle sait qu’il va y avoir ses quelques habitués, et quelques touristes, mais elle ne panique pas avec ça. Son maquillage est doux, sans rien sur les yeux excepté une couche de mascara. Ce sont ses lèvres qui sont peintes d’un violet si foncé qu’il paraît noir sous les lumières tamisées de la boutique. Son chandail en velours est de la même couleur que ses lèvres, aux manches longues. Elle porte aussi un pantalon à taille haute noir, et une paire de bottes à talons. Aux premiers abords, son habit fait vraiment le moine. Ça fait à peine un an qu’elle travaille au Crow’s Nest, mais la propriétaire de la boutique— une Tremere plutôt âgée, lui fait confiance.  

Elle prend son temps pour compter la caisse— 200£ tous ronds, elle referme et garde la clé, qui est accrochée sur un bracelet en plastique noir, autour de son poignet en continuant d’ouvrir. Elle ouvre les épais rideaux de velours rouge afin de permettre à la faible lumière du soleil de transpercer les nuages et éclairer un peu avant qu’elle ne décide d’ouvrir les lumières. Elles sont tamisées, de toute façon. Certains livres sont si vieux que la lumière agressive d’un néon pourrait abîmer le papier. Valérie fait un tour de la boutique pour tout épousseter, replacer les grimoires à leurs places, classer les herbes séchées et les cristaux dans leurs endroits respectifs. Et puis, une fois que tout est fait, elle brûle de la sauge pour purifier l’endroit. L’odeur la fait sourire légèrement— c’est sa partie préférée de l’ouverture de la boutique.

Une fois la sauge brûlée, Valérie se retire dans l’arrière-boutique pour faire un rapide compte de l’inventaire— et surtout, pour vérifier s’ils n’ont pas eu de commandes. Avec une boutique comme celle-ci, certains vampires viennent pour avoir des infos. Elles sont responsables de certains éléments de rituels Sabbat, mais depuis quelques temps, Valérie laisse sa patronne faire affaire avec eux. Elle ne veut pas voir Nathaniele. Depuis le Blood Bath, elle ne sait pas trop quoi faire. Il s’est excusé, mais elle ne peut tout de même pas se permettre de le pardonner si facilement. Repenser à comment il a éliminé Gabriel… Avec tant de froideur et de détachement… Valérie frissonne. Elle lève les yeux, croisant son regard dans le vieux miroir qui est accroché, là. Elle était un assassin— Elle aussi, avait tué sans cligner des yeux. Mais de voir quelqu’un qu’elle aimait mourir aussi atrocement l’avait ramollie, un peu. Elle n’avait pas accepté de contrat depuis quelques mois, mais récemment, elle recommençait à faire son véritable travail. Après tout, elle ne pouvait pas laisser un homme ruiner sa vie. Surtout pas Nathaniele.

Elle glisse ses doigts dans ses cheveux, les replaçant sur ses épaules. Son regard est froid, mais elle se radouci assez rapidement. Elle porte un masque; celui d’une humaine avec un intérêt pour l’occulte. La journée est plutôt calme— c’est vers quinze heures qu’elle voit ce client-là pour la première fois. Un jeune homme qui n’a pas vraiment l’air plus vieux qu’elle. Il a cette aura qui n’augure rien de bon, mais Valérie a rapidement appris à ne pas juger un livre selon sa couverture. Tournant le dos à elle, le jeune homme semble fasciné par l’un des nombreux spécimens de crânes humains que la boutique affiche. Les mains derrière le dos, elle s’approche lentement de lui, sans un bruit. « Attention, c’est un vrai. » Dit-elle, sa voix douce brisant le silence réconfortant de la boutique. « Est-ce que je peux t’aider? »

Valérie peut à peine cacher sa surprise lorsque le jeune homme se met à lui faire une courte présentation sur les différents os qui forment le crâne qu'il a toujours dans sa main. Elle s'y connaît assez, mais pas autant que ça. Il semble connaître la véritable texture d'un crâne, et elle n'ose pas s'interroger. Après tout, ce n'est pas vraiment de ses affaires. Mais lorsqu'il le fait voler, Valérie sursaute, son cœur tombant presque dans son estomac. S'il fallait qu'il l'échappe et qu'il brise… Mais l'inconnu le rattrape d'une main d'expert. Elle ferme les yeux, soupira de soulagement. Lorsqu'il prononce son nom, toutefois, quelque chose s'allume en elle. Son instinct de survie, peut-être? Elle serre les dents, prête à se défendre. Mais plus il parle, plus il l'interpelle. « Shakar? » Elle répète le terme avec une sorte d'incrédulité. Elle arrive à peine à y croire. Mais lorsqu'il lui donne son nom, elle sait exactement qui il est.

C'est là que Valérie se met réellement sur ses gardes, observant chaque fait et geste de cet homme dénommé Raven. Elle connaît la Black Hand— sait ce dont ces membres privilégies de l'armée secrète du Sabbat sont capables. Elle aurait elle-même pu en faire partie, mais elle est beaucoup trop indépendante pour s'attacher à une organisation comme celle-là. Elle suit le crâne du regard lorsqu'il le pose à son endroit original, croisant ses bras sur sa poitrine. « Besoin de me voir? » Elle s'interroge, ne sait pas quoi penser. Elle est à moitié soulagée de savoir qu'à cette heure-là, presque personne n'entre dans la boutique. Ils ferment à dix-sept heures, mais comme c'est une endroit qui accueille le plus souvent des habitués ou des touristes, les dernières heures de la journée sont souvent les plus tranquilles.

Elle l'écoute attentivement, surprise de savoir que Raven agit sans la connaissance de ses supérieurs. C'est peut-être une mauvaise idée, mais ce n'est pas à elle de lui faire savoir. S'il est un Shakar, il sait très bien le genre de conséquences que ça peut lui emmener. Elle n'est pas dérangée par le fait qu'il est assis dans une chaise qui vaut au-delà de 500£… Le sujet de conversation est beaucoup trop intéressant. « Tu fais partie de la Black Hand, » dit-elle. « Ça devrait être à tes supérieurs de te montrer comment suivre quelqu'un sans te faire remarquer. » Elle fronce les sourcils.

C'est à ce moment précis que Valérie réalise quelque chose. Il connaît son nom, savait où la trouver afin de lui parler dans un lieu qui risquait d'être désert. « Tu me suis depuis le début, » dit-elle à mi-voix. Elle tourne le dos à Raven pendant quelques instants, presque sous le choc de ne pas l'avoir remarqué. « J'étais si préoccupée par les autres que je ne t'ai jamais vu. » Elle serre les poings, en colère contre elle-même pendant quelques instants avant de se retourner pour le regarder. « En quoi exactement te serais-je utile? Tu es déjà un assassin. »

Si le cœur de Valérie pouvait encore battre, elle savait qu’il le ferait à toute allure. Elle est à la fois nerveuse et fâchée, parce qu’elle n’a jamais remarqué qu’elle était suivie. Elle, qui était un assassin, n’avait pas remarqué que quelqu’un la suivait à la trace. Soupirant doucement, elle lève les yeux pour regarder de nouveau Raven. Il a bien raison- Elle connaît assez la Black Hand pour savoir qu’ils l’avaient choisi pour une bonne raison. Peut-être était-il l’un de ces vampires qui n’avaient aucune pitié. Ou peut-être que ses connaissances et ses pouvoirs faisaient de lui une arme idéale. Elle chasse ces pensées de son esprit avant qu’elles ne deviennent trop invasives. « Une source d’information ? » Elle répète les mots du jeune homme avec une expression incrédule sur son visage. « Connaître Nathaniele n’a rien d’un lien haut placé, » continue-t-elle après que son visage soit de nouveau neutre. « Si tu es dans la Black Hand, tu dois savoir ce que je lui ait fait. Ce n'est pas vraiment un secret. »

Elle n’a pas envie d’en parler plus qu’il faut. Peut-être qu’il n’avait rien dit à propos de l’incident, mais Valérie connaissait assez les vampires pour savoir que les rumeurs courent vite. Elle glisse ses doigts dans ses cheveux, joue avec les pointes. Ses yeux bleus parcourent la boutique brièvement avant de se reposer sur Raven. Elle ne dit rien durant un long moment avant de parler de nouveau. « Donc, tu veux que j’espionne d’autres vampires ? » Elle voulait être certaine qu’ils soient sur la même page. Elle pense rapidement à une manière d’être payée, mais l’argent est le dernier de ses soucis. « Et je ferai ce que tu veux en échange. »

Les sourcils de Valérie se relèvent lorsqu’elle entend ces mots. À voir l’expression sur le visage de l’autre, elle est capable de deviner qu’il n’est pas totalement d’accord avec ce qu’il vient de dire. Mais, contre toute attente, elle ne sait même pas quoi demander en échange de ce service qui, dans un monde comme aujourd'hui, vaut de l'or. Après un moment de silence, Valérie fini par penser à une réponse qui ne ferait peut-être pas plaisir à son interlocuteur, mais qui était son seul et dernier mot. « Je ne te demande rien en échange... Pour le moment. » Elle souri légèrement— son sourire veut tout dire. « Mais rappelles-toi que je vais rev enir cogner à ta porte un de ces jours, et peu importe ma demande, tu ne pourras pas dire non. » La jeune femme jette un œil sur l'écran de son téléphone pour y voir l'heure, puis regarde Raven de nouveau. « C'est à prendre ou à laisser. Maintenant, si tu n'as rien d'autre à me dire… Je te demanderais de quitter ma boutique. Ce n'est pas un endroit pour flâner. »