Zak devait admettre être plutôt surprise par l'invitation à aller prendre un verre par son voisin de chambre. Elle ne s'était pas vraiment mêlé aux autres résidents depuis son arrivée, mais Benjamin— son voisin, avait été l'exception à cette règle. Ils s'étaient rencontrés par pur hasard, lorsqu'elle avait oublié de verrouiller la porte pendant qu'elle se préparait, un matin. Rien de grave n'était arrivé, si ce n'était que du fait qu'il l'avait surprise entrain de se brosser les dents. C'était arrivé quelques fois, et depuis, ils se partageait la salle de bain sans problèmes, lorsqu'il était temps de se préparer. Le seul moment où l'un ou l'autre verrouillait la porte s'avérait à être lorsqu'ils prenaient leur douche ou bien occupaient le petit coin— chose normale, quoi.
Elle avait à peine eu le temps de retourner à sa chambre après son chiffre à la boutique— le pub était 20 minutes à l'opposée, donc elle avait seulement eu le temps de changer de chandail avant de se remettre en route pour aller rejoindre Ben.

Elle n'était pas du genre à sortir- en fait, depuis son arrivée en Angleterre, et surtout, depuis qu'elle était majeure, Zakiya n'était pas sortie. Elle et sa mère avaient célébré avec un verre, mais c'était là la seule chose qu'elle avait faite pour célébrer sa majorité. Ses cheveux bruns attachés en un chignon serré sur sa tête, Zak portait des vêtements plutôt amples ; ceux qui la connaissaient intimement savaient donc qu'aujourd'hui était une journée où elle ressentait plutôt son côté masculin. Une paire de pantalons gris foncés reposaient sur ses hanches étroites, et elle portait un t-shirt noir sous son manteau. Le vent était encore frais, mais plus l'été approchait, plus la température se faisait clémente.

Poussant la porte du pub lentement, elle fut surprise de voir qu'il commençait déjà à être achalandé. La soirée était encore jeune, mais ça n'empêchait pas les gens de venir apprécier les musiciens locaux en buvant une bière froide. Elle avait déjà entendu parler de ce pub qui semblait plutôt populaire grâce à son inventaire de Gin généreux. Mais comme Zak n'était pas quelqu'un qui aimait beaucoup l'alcool fort, elle allait sûrement se contenter d'un cocktail ou bien d'une bière douce. Ses yeux bleus parcoururent la grande pièce pendant un moment, jusqu'à ce qu'ils se posent sur Benjamin qui lui faisait un signe de main. Elle fit vite de traverser la salle, contournant les tables pour rejoindre le blond avec un sourire.

« Salut, » soupira-t-elle, posant son sac sous la table avant de s'écraser sur la chaise. « Désolée d'avoir pris autant de temps, j'arrive du travail. » Zak s'étira légèrement, jetant un regard vers Ben. « J'espère que tu n'as pas attendu trop longtemps. Ça va? »

manteau ici!

Benjamin n'avait pas exactement tord lorsqu'il mentionna qu'elle avait l'air fatiguée. Travailler au service à la clientèle n'était pas toujours une partie de plaisir— encore moins quand c'était dans une boutique érotique. Et les jours où elle passait pour son sexe biologique, c'était commun pour les clients du sexe masculin de lui poser des questions plus que déplacées qu'elle se devait d'éviter. Elle pouvait leur dire qu'elle n'avait pas le droit d'y répondre (ce qui était totalement vrai), mais il arrivaient qu'ils insistent, et c'était déjà arrivé qu'elle doive bannir quelqu'un de la boutique pour harcèlement sexuel. Heureusement, ce n'était pas quelque chose qui arrivait souvent, et la majorité du temps, Zakiya adorait son travail. « Tu parles, » dit-elle en soupirant. « C'était une longue journée. » Elle sourit doucement, saluant la serveuse lorsqu'elle vint pour prendre sa commande. Après avoir jeté un bref regard au menu des boissons, Zakiya décida de prendre un cocktail sans alcool et un panier de frites.

Elle avait probablement oublié de mentionner à Benjamin qu'elle ne buvait pas lorsqu'il l'avait invitée à prendre un verre. Mais de toute façon, la sobriété ne l'empêcherait pas de passer un bon moment en compagnie de son voisin de chambre. Elle n'avait jamais vraiment bu de sa vie, et ne voyait pas vraiment l'intérêt. Toutefois, elle respectait les gens qui aimaient le faire, et n'allait pas se mettre à les réprimander. Ce n'était pas de ses affaires, de toute façon.

Lorsque la serveuse revint avec son verre, Zakiya la remercia, prenant la paille entre ses doigts pour brasser le tout. Elle avait pris l'habitude de commander un Shirley Temple peu importe où elle allait. C'était simple, et elle ne pouvait tout simplement pas se tromper. Quelque fois, c'était avec du Ginger Ale et d'autres fois avec du Sprite, mais en général, c'était toujours bon. Elle prit bien soin de mélanger la grenadine avec le reste, mais avant de boire le tout, mangea la cerise qui venait avec le drink.

« Qu'est-ce que tu as fait de ta journée? Travail? » C'était difficile pour elle de faire la conversation— Zakiya était généralement une personne solitaire qui ne se mêlait pas vraiment aux autres. Si sa mère venait à savoir qu'elle était sortie, elle en ferait probablement tout un plat. Elle avait toujours accepté que Zakiya soit quelqu'un d'introverti, mais elle avait toujours voulu qu'elle ait des amis, qu'elle sorte avec eux et qu'elle s'amuse.  Zak prit finalement une gorgée de son breuvage, laissant échapper un petit bruit satisfait. Jetant un regard vers Ben, elle plissa légèrement les yeux. « C'est nouveau, ce chandail? »

Zakiya sirotait tranquillement son breuvage, écoutant avec attention ce que Benjamin avait à dire. Elle savait déjà qu'il travaillait dans une usine, et donc, leurs emplois étaient complètement différents. À vrai dire, elle n'avait pas souvent eu des clients désagréables. Elle en avait eu très peu, mais ceux-là, c'était difficile de les oublier. Elle haussa légèrement une épaule, déposant son verre sur la table. « Je ne suis pas le genre de personne qui se laisse déranger par les gens qui n'ont pas de savoir-vivre, » dit-elle, les coins de ses lèvres se soulevant en un petit sourire. « Si les gens veulent être malpolis— voire violents avec moi pour différentes raisons, je n'ai pas peur de les faire sortir de ma boutique. Et s'ils insistent, je n'hésite pas pour appeler la police. » Elle sourit de toutes ses dents; il ne fallait pas chercher des ennuis, avec Zakiya. Elle n'avait pas froid aux yeux et elle n'avait pas peur de le montrer.

Elle l'écouta poliment lorsqu'il mentionna les hommes, un petit rire s'échappant d'entre ses lèvres. Il n'avait pas exactement tord; certains hommes étaient vraiment des imbéciles. Son père était probablement l'exemple le mieux placé; il avait tout fait pour rendre la vie de sa mère un enfer, et le karma lui avait rendu la pareille— deux fois pire. Ce que Ben avait dit à propos de son nouveau chandail lui était presque passé six pieds par dessus la tête, mais c'était loin d'être parce que ça ne l'intéressait pas, mais plutôt parce que lorsque Zakiya se mettait à penser à son père, c'était une pente descendante qui n'en finissait plus.

Avant de se perdre dans ses pensées, toutefois, Benjamin avait bien fait de lui poser une nouvelle question. Durant quelques secondes, elle regarda Ben avec une expression confuse sur le visage, jusqu'à ce que son cerveau enregistre l'information. « Oh! » Elle réalisa qu'il référait à Elizabeth, qui venait souvent lui rendre visite. Jusqu'à maintenant, c'était sa seule invitée, donc, Zakiya comprenait pourquoi Benjamin se posait des question. « Non, c'est une chambre simple… Comme la tienne, si je ne me trompe pas. » Elle prit une nouvelle gorgée de son breuvage, souriant. « Cette fille, que tu pensais être ma colocataire… C'est une bonne amie à moi. Elle est tatoueuse. » Elle s'arrêta durant un instant, ses yeux bleus se posant de nouveau sur Benjamin. « Je peux te la présenter, si tu veux. »

Le goût de grenadine devenait de plus en plus présent plus Zakiya buvait sa consommation. Elle laissa échapper un rire, sa paille accotée contre sa lèvre inférieure. « Ça peut se faire, » dit-elle, coinçant la paille entre ses dents. « Elle est plutôt du genre à traîner dans les clubs, mais je pense qu'on pourrait s'arranger. » Ceci étant dit, elle savait qu'elle devrait dire à Elizabeth d'être présentable. Même si Zakiya n'était pas dérangée par la non-pudeur de son amie, elle était bien consciente que d'autres pouvait la trouver choquante. Plus la soirée avançait, plus l'ambiance autour d'eux se faisait bruyante, et la jeune femme ne fut pas surprise de voir Benjamin terminer sa bière d'un trait. Elle fit de même, secouant la tête un peu lorsque le goût sucré de la grenadine rempli sa bouche. Se levant tout comme son compagnon, elle ramassa son sac, ajustant la ganse sur son épaule avant de tourner les talons, prête à sortir de l'endroit.

La température s'était un peu refroidie, mais ça n'était rien de trop inconfortable. Du coup, Zak était plutôt soulagée de porter un manteau. Même s'il était plutôt léger, ça la protégeait du petit vent frais. « Hm. La prochaine fois, je t'emmènerai à ce petit café que j'aime bien. » Elle pensait déjà à cette visite, au café qu'elle aimait bien visiter. Le Gitane était un café qui était considéré comme Perse, mais Zakiya connaissait les propriétaires; la femme était pakistanaise tout comme elle, mais le mari était perse et faisait la majorité des plats. Toutefois, c'était là l'endroit qui servait le meilleur thé chai, et depuis son arrivée à Londres et son emménagement dans les résidences, c'était aussi son endroit de prédilection pour étudier en paix. « Si tu n'as pas peur de goûter à autre chose que de la nourriture Anglaise, bien entendu. » Elle lui fit un petit clin d’œil, enfonçant ses mains dans les poches de son manteau tandis qu'ils marchaient dans les rues de Londres.

En tournant sur une rue, Zakiya pointa au loin. « On peut aller s'asseoir là, » dit-elle. Et plus ils s'approchaient, plus ils pouvaient voir qu'il s'agissait de l'un des nombreux squares de la ville. Plus précisément, le Bloomsbury Square Garden. L'heure de fermeture approchait, mais d'ici là, ils pouvaient bien se permettre de s'asseoir et de relaxer un peu sans être entourés d’hurluberlus qui hurlaient à en perdre la tête. Après un petit moment de marche, Zakiya s'écrasa sur un banc avec un petit bruit de soulagement. « Pas mal, on est qu'à dix minutes de la résidence. Pas de presse, » dit-elle avec un petit rire, s'étirant les bras au-dessus de la tête. « Alors, Ben. Parles-moi un peu de toi! En quoi est-ce que tu étudies? »

Zakiya dû prendre un moment pour réaliser jusqu’à quel point elle avait été honnête et ouverte envers Benjamin. Elle n’avait jamais été le genre de personne qui faisait du small talk, alors qu’est-ce qui se passait? Il fallait dire que c’était facile de parler à Ben, et que pour une fois, elle parlait et elle ne se faisait pas regarder comme si elle était folle ou bien ne savait pas de quoi elle parlait. Son domaine de travail lui causait parfois des problèmes, mais elle ne s’en faisait pas trop. Rapidement, elle tourna son attention vers Benjamin, qui répondait à sa question. Impressionnée, elle haussa les sourcils. « Tu fais les deux? » Elle se tourna un peu vers lui, croisant les bras pour conserver sa chaleur corporelle. « Je veux dire, je travaille aussi, mais toi… Au moins tu travailles dans ton domaine. » Elle lui fit un petit sourire.

À la question de Benjamin, elle se redressa un peu. «Je suis en Études Européennes, » dit-elle. «Ce qui me donne des cours sur pas mal tout— arts, littérature, sciences, politique… » Zakiya s’arrêta trente secondes. Wow, elle parlait beaucoup. «Mais non, mon travail n’a vraiment rien à voir avec mes études. C’est vraiment juste quelque chose qui me sert à mettre de l’argent de côté. »

Elle s’étira un peu, mettant ses mains entre ses cuisses pour les réchauffer un peu. Même si l’été approchait, les nuits étaient toujours un peu fraîches. Ses yeux bleus se posèrent sur Benjamin, et durant un moment, elle dû vraiment penser à comment lui répondre. Cinq mots pour la décrire… C’était le genre de question qu’on lui poserait en entrevue. Le genre de question à laquelle elle ne savait pas quoi répondre.

« Hm. » Zak pinça les lèvres avant de répondre. « Je pense que… Je suis quelqu’un de curieux. Quelqu’un qui sait se débrouiller, peu importe la situation. Quelqu’un d’impulsif… » Elle s’arrêta, mordillant sa lèvre inférieure en réfléchissant. « Quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux, » elle rit légèrement. « Et pas mal ouverte d’esprit. Ça m’en prend beaucoup pour me choquer. » Elle se tourna pour regarder Benjamin, haussant un sourcil. « Et toi? Tu penses être capable de te décrire en cinq mots? »

Suivant Benjamin des yeux, Zakiya n’était pas surprise de sa réponse. C’était quelqu’un qui semblait en avoir beaucoup à dire sur tous les sujets. Elle devait admettre qu’il avait raison— qu’on pouvait toujours transformer un défaut en qualité si on était capable de l’exploiter de la bonne manière. Plus Ben parlait, plus Zakiya trouvait qu’il cachait une intelligence surprenante, ainsi qu’une vision de la vie assez intéressante. Tout ce qu’il disait était vrai— et ça lui donnait une bonne idée de la personne qui était son voisin de chambre. Elle lâcha un petit rire, hochant la tête. « Je dois admettre que je suis plutôt surprise de ta réponse, » dit-elle en se levant. Il commençait à faire un peu plus frais maintenant que le soleil était complètement couché. « Beaucoup de gens sont incapables de se décrire et d’admettre qui ils sont vraiment. »

Elle prit une petite pose, étirant ses bras au-dessus de sa tête avant de continuer à avancer lorsqu’il se retourna pour voir si elle le suivait. « Je pense que ça fait de toi quelqu’un de très humble, » Zakiya ajouta en le rejoignant, marchant à ses côtés. « J’aime les gens humbles. » Elle sourit de nouveau, glissant ses mains dans les poches de son coupe-vent.

Ils marchèrent en silence durant un long moment, alors qu’au loin, la résidence se faisait de plus en plus proche. Plus elle y pensait, plus Zakiya trouvait que Ben était le genre de personne avec qui elle pourrait bien s’entendre— même s’il parlait beaucoup, contrairement à elle, il semblait avoir une bonne tête sur ses épaules et il n’était pas de mauvaise compagnie. Après être tous les deux entrés dans la résidence et s’être rendus devant leurs portes respectives, Zakiya se tourna une dernière fois vers Benjamin. « Merci pour cette soirée, » dit-elle avec un sourire. « C’était bien. On se refera ça. »