Accompagnée d’Eleanor, le trajet vers l’appartement de Valérie fut beaucoup plus rapide. Après tout, on disait souvent que le temps passait vite lorsque l’on était en bonne compagnie. Lorsqu’elles arrivèrent dans le quartier de la vampire, Valérie jeta un coup d’œil à sa compagne, amusée de voir l’expression émerveillée qui apparut sur son visage. Même si ses yeux étaient couverts de lunettes de soleil, elle savait que la garou appréciait la découverte d’un nouveau quartier. Ses yeux bleus jetèrent un coup d’œil aux alentours avant de se poser de nouveau sur l’albinos et à sa question, elle pencha légèrement la tête. « Depuis mon arrivée à Londres, en fait. » Elle fronça un peu les sourcils, puis haussa une épaule.

« Je vivais en Italie avant. » Ce n’était pas un secret; elle avait passé une bonne majorité de son existence en Italie et avait fréquenté un bon nombre de vampires de différentes allégeances. Mettant enfin les pieds dans l’immeuble où elle habitait, Valérie guida Eleanor jusqu’au dernier étage du triplex et déverrouilla la porte avant d’entrer. Sa seconde question la fit hésiter un peu ; elle n’aimait pas particulièrement parler d’argent, mais comme Eleanor semblait être réellement intéressée, elle répondit tout en retirant ses bottes. « Pas tellement. C’est surtout le dépôt de sécurité qui fait un peu peur. » Échappant un rire, elle passa une main dans ses cheveux foncés, offrant à Eleanor de prendre son manteau afin de l’accrocher sur le porte-manteau derrière elle.

Valérie ramassa les sacs d’épicerie, se dirigeant dans la cuisine pour les déposer sur le comptoir-déjeuner. Son appartement était à aire ouverte, les deux seules portes fermées menant vers la salle de bain ou bien sa chambre à coucher. Levant les yeux vers son amie, elle lui fit un petit sourire en vidant les sacs, prenant bien soin de ranger les viandes et le fromage dans le frigo. Lorsqu’elle ouvrit la porte, Valérie réalisa qu’il était bel et bien vide. Les seules choses qui restaient à l’intérieur étaient un pot de cornichons quasiment vide et une bouteille de vin blanc. Plissant les yeux durant quelques instants, elle finit par fermer la porte du frigo avant de se pencher au-dessus du comptoir, regardant Eleanor.

« Est-ce que tu préfères manger tout de suite ? Sinon, on peut attendre un peu et continuer notre discussion. » Elle sourit légèrement avant de se retourner pour sortir deux verres, les posant sur le comptoir près de l’évier. « Je fais vraiment la pire des hôtesses. Voudrais-tu quelque chose à boire ? » Elle se versa un verre en attendant la réponse d’Eleanor, faisant le tour du comptoir à déjeuner pour s’asseoir sur l’un des tabourets de cuir, croisant les chevilles. Prenant une grande inspiration- simple réflexe qu’elle n’avait toujours pas abandonné, elle porta son verre à ses lèvres et en prit une gorgée.

Tandis qu’Eleanor répondait à ses questions, Valérie s’empressa de lui verser un verre d’eau et le glisser vers elle avant de s’asseoir à ses côtés. Peut-être aurait-elle refusé de répondre à sa question si elle avait été quelqu’un d’autre, mais après avoir pris une gorgée de son verre d’eau, elle se tourna un peu vers elle, un léger sourire aux lèvres. « J’ai 59 ans. » Elle posa son menton dans la paume de sa main, laissant balancer ses pieds dans le vide, à quelques centimètres du plancher de bois. Valérie pouvait comprendre la curiosité d’Eleanor : elle-même ne savait que très peu de choses sur les garous, et c’était une race tout aussi intéressante que la sienne. Elle ne dit rien tandis que sa compagne albinos continuait sur sa lancée, posant de nouveau quelques questions.  Un petit rire s’échappa de ses lèvres, et après s’être replacée sur son banc, lui répondit. « Le sang est notre source d’énergie principale. Nous ne pouvons pas survivre sans en consommer régulièrement. On a pas vraiment besoin de consommer de la nourriture et des breuvages humains, même qu’ils nous rendent malades si on en ingère trop. »

Le commentaire d’Eleanor sur le soleil la fit rire, révélant ses dents blanches. « Crois-moi, après quelques minutes au soleil de midi, j’ai envie de m’évanouir, » révéla la jeune femme, qui prit une autre gorgée d’eau, réalisant à quel point son goût était fade. Elle pouvait apprécier le goût de la nourriture humaine, mais rien n’était aussi satisfaisant que du sang humain. Glissant sa langue contre ses lèvres, son estomac se retourna légèrement à la pensée du liquide rouge, et durant quelques secondes, elle porta une attention particulière au bruit muet du sang d’Eleanor qui circulait dans ses veines. Ça lui faisait penser au bruit que l’on entendait lorsqu’on portait un coquillage à son oreille. Un doux chuchotement qui rappelait les vagues qui s’écrasaient sur la plage. Baissant les yeux durant quelques secondes, Valérie releva la tête lorsque la voix d’Eleanor la tira de ses pensées. « Ça ne me dérange pas. Tant que je peux en poser, moi aussi. » Elle sourit doucement, poussant légèrement son verre presque vide. Le goût fade lui restait dans la bouche, comme le goût d’un café froid et amer.

« Vous avez des pouvoirs aussi? »

La question stoppa Valérie net, qui leva les yeux vers la jeune femme pour la regarder durant un long moment sans parler. Puis, toujours sans piper mot, elle hocha la tête lentement, tendant la main vers son verre d’eau sans y toucher. Quelques secondes passèrent sans que rien ne se passe, puis, l’eau qui restait dans le verre se mit à trembler et puis, se glissa hors du verre pour former un cercle parfait. La surface de celle-ci était lisse, comme un miroir, et si Eleanor s’approchait un peu, elle pourrait voir sa réflexion se mirer sur la bulle. « J’espère que ça répond à ta question? » Valérie sourit, tendant la main, et puis, la bulle se posa sur le bout de ses doigts, et elle la fit rouler comme si celle-ci avait été faite de plastique ou de métal. Elle ne laissait même pas la peau de Valérie mouillée tandis qu’elle roulait sur ses jointures, et puis, en retournant sa main rapidement, se glissa dans la paume de celle-ci. Elle tendit la main vers Eleanor pour lui montrer la bulle de plus près, laissant échapper un rire. « N’y touche pas. »

Valérie retira sa main doucement lorsqu’Eleanor tendit la sienne avec l’intention de toucher à la bulle d’eau. Un sourire aux lèvres, elle expliqua calmement que si elle y touchait, cela risquerait de faire éclater la bulle et leur donner à toutes les deux un bain non-désiré. Lorsque l’albinos parla de nouveau, elle hocha la tête, curieuse, et pendant qu’elle se déplaçait, déposa la bulle dans le verre et la délaissa, la regardant se défaire du coin de l’œil. Ses yeux bleus se posèrent de nouveau sur son amie, un peu surprise lorsqu’elle réalisa qu’elle était en train de défaire les boutons de sa chemise. Toutefois, Valérie ne dit rien, souriant légèrement lorsqu’elle remarqua l’absence de soutien-gorge. Enfin, une copine qui comprenait la joie de ne pas porter de soutif. Elle regarda avec admiration le corps d’Eleanor changer lentement; son torse qui s’aplatissait, ses épaules qui s’élargissaient. « Trois. » Sa voix qui était devenue encore plus grave, et les traits de son visage plus masculins. Lorsqu’elle- il? Eut terminé sa transformation, Valérie dût se lever de son siège pour admirer le corps d’Eleanor, glissant ses mains sur ses épaules. « Mais, c’est incroyable, » dit-elle doucement, levant les yeux pour regarder la jeune femme avec un sourire. « Comment est-ce que ça fonctionne? Est-ce que tout ton corps change? »

Elle n’avait jamais eu la chance d’être témoin d’un garou utilisant de ses pouvoirs, et pour une première fois, c’était encore plus excitant qu’elle l’imaginait. « Vos pouvoirs sont tous différents, n’est-ce pas? » Ses yeux bleus s’écarquillèrent un peu, tous excités de voir un tel phénomène. Valérie retira ses mains du corps d’Eleanor, un peu embarrassée de démontrer un comportement qui était le tout contraire de comment elle agissait normalement. C’était rare pour Valérie d’agir d’une telle manière, mais avec une grande inspiration, elle se redressa un peu, glissant une main dans ses cheveux foncés. « J’ai réalisé qu’en utilisant mon pouvoir, je peux voir en travers ton illusion, » dit-elle, ses yeux brillants de malice. « C’est un pouvoir qui me permet de détecter les mensonges, et ton pouvoir semble jouer avec les illusions, donc, si je m’y mets, je peux tout de même voir ton apparence normale. » Valérie sourit, désactivant son pouvoir pour admirer le corps masculin d’Eleanor. Après tout, c’était assez impressionnant. « T’en sers-tu souvent, de ce pouvoir? »

Valérie échappa un léger rire; c’était relaxant d’être en compagnie de quelqu’un qui était aussi calme et agréable, lorsqu’on lui donnait une chance. Elle regrettait d’avoir été rapide à juger Eleanor, qui était l’une des rares personnes qui avait eu le courage de lui adresser la parole. Elle écouta attentivement les explications de la jeune femme, légèrement troublée par sa voix nouvellement grave. Un sourire étira les lèvres de la vampire : elle n’avait pas besoin d’un dessin pour comprendre qu’elle devait sûrement se servir de ce pouvoir pour flirter avec des filles. « Quand je suis comme ça, on m’appelle Eliezer.  Enchanté. »  Se prenant au jeu, Valérie serra la main de l’albinos avec un petit ricanement. « Enchantée de faire ta connaissance, » dit-elle sur le ton de la plaisanterie. Alors qu’Eleanor reprenait son apparence normale, Valérie hocha la tête. « J’imagine que tu dois faire attention à la manière dont tu parles. » Elle bougea, ramassant les verres d’eau pour les déposer près de l’évier. Elle ouvrit la porte du frigo, en sortant les choses qu’elles avaient achetées à l’épicerie. « Viens de ce côté et laves-toi les mains, » dit-elle en déposant sur le comptoir les différents ingrédients avant de se retourner pour ouvrir l’eau, passant ses mains sous le jet avant de les savonner.

C’était la première fois depuis une éternité que Valérie avait un invité chez elle qui n’était pas une conquête, et même si elle était plutôt décente comme chef-cuisinière, elle se dit que c’était plus facile pour son estomac de vampire d’ingérer quelque chose de léger comme une pizza maison. Elle n’avait pas mangé de nourriture humaine depuis quelques jours, ce qui rendrait la chose encore plus facile. Son jeune âge causait quelques fois des problèmes de digestion assez désagréables, donc elle faisait attention. Après s’être essuyé les mains, Valérie sorti un couteau et une planche à découper. Se séparant la tâche, elle offrit à Eleanor de commencer à garnir les pains naan d’une bonne couche de sauce tomate tandis qu’elle découpait l’oignon rouge en petits cubes. Ensemble, elles décorèrent leur pizza respective et lorsque le four sonna, Valérie les mit sur une plaque et les enfourna. « Ça devrait prendre environ une quinzaine de minutes, » dit-elle en remplissant de nouveau les verres d’eau. Elle en glissa un vers Eleanor, un petit sourire aux lèvres. « Tu viens d’où? À ton accent, je n’ai pas vraiment l’impression que tu viens d’ici. » C’était une simple remarque, et après tout, elles savaient ce que l’une et l’autre était. Rien ne servait de garder trop de secrets.

Ce n’était pas la première fois que Valérie rencontrait quelqu’un qui venait d’ailleurs. Toutefois, c’était la première fois qu’elle rencontrait un garou, et elle ne pouvait pas cacher sa curiosité. Elle-même venait d’ici et d’ailleurs, ayant passé une bonne partie de sa vie de vampire en Italie. S’adossant sur le comptoir pour faire face à la jeune femme, Valérie l’observa durant quelques secondes. « Gaélique, hm? » C’était intéressant. Pas une langue avec laquelle elle était familière, mais c’était tout de même intéressant. « C’est un bel accent, » dit-elle, prenant une gorgée d’eau. « Tu ne devrais pas essayer de t’en débarrasser. » Elle sourit, posant son verre sur le comptoir. La vampire n’avait pas vraiment d’accent particulier; étant née en Angleterre, elle n’avait jamais vraiment perdu l’accent, même après ses nombreux voyages en travers l’Europe. Il avait perdu un peu d’ampleur lorsqu’elle arriva en Italie, mais depuis son retour en ville, il était revenu avec force. Elle se pencha légèrement, vérifiant l’état de leurs pizzas avant de se redresser. « J’imagine que tu commences à avoir faim, » dit-elle avec un petit rire, s’avançant pour se pencher vers l’avant, reposant ses coudes sur le comptoir. La journée de Valérie n’avait pas été vraiment longue- un seul cours lui permettait de revenir tôt chez elle et de profiter d’un moment de solitude bien mérité. Toutefois, la présence d’Eleanor chez elle était la bienvenue- pour la première fois, elle sentait que d’être en compagnie de quelqu’un pouvait lui faire du bien.

Elle se perdit dans ses pensées, réalisant d’un coup qu’elle n’avait pas vraiment eu d’amis depuis un bon moment. Valérie avait toujours été du genre solitaire, mais elle se mêlait facilement aux foules et c’était facile pour elle de se faire des amis. Mais, quand on vivait assez longtemps, on en voyait de toutes les couleurs et c’était parfois mieux d’être seule que d’être accompagnée d’une bande de cons. Elle échappa un petit soupir, se retournant pour prendre son verre d’eau. « Je suis contente de savoir que si jamais on doit travailler en équipe, je vais savoir vers qui me retourner. » Dit-elle alors qu’elle sortait des assiettes, les déposants près d’elle. « Disons simplement que je ne suis pas la meilleure des amies; mes habiletés sociales sont à développer. » Valérie laissa échapper un petit rire, prenant une mitaine de four pour sortir la plaque qui tenait leurs pizzas. Après les avoir déposées dans les assiettes, elle prit des ustensiles et les offrit à Eleanor. Finalement, elle prit place à côté d’elle, jetant un regard vers l’albinos. « On pourra se refaire quelque chose du genre, un moment donné. Si tu veux, bien entendu. » Silencieusement, elle espérait qu’Eleanor accepte son offre. Ça pourrait lui faire du bien de voir des gens. C'était probablement la première fois qu'elle était aussi honnête avec quelqu'un, et la sensation nouvelle était assez agréable. Peut-être, pensa-t-elle, que c'était une bonne chose qu'Eleanor se soit assise à côté d'elle. Avec un sourire, elle leva les yeux vers elle. « Bon appétit. »